L’Africaine, description

L’exposition d’IsA a pour thème « l’Africaine », mais ici la femme incarne tout un continent. L’Afrique est une mosaïque de régions, de races et de cultures, depuis les traditions égyptiennes jusqu’aux rites animistes en passant par les cultures islamiques. L’architecture de l’exposition se présente comme une galerie de portraits qui évoque la généalogie et donc, pour l’Afrique, le culte des ancêtres, fondateurs d’une famille ou même d’un peuple. La femme se présente alors comme l’aïeule primordiale du groupe ou de la tribu, participant de sa croyance en une transmission de la « force » des morts aux vivants et à qui elle garantie la survie et la permanence.

Cette série de portraits déclinée à l’envie a un emblème : l’arbre d’Afrique. Il y est important car c’est le lieux de la transmission et de l’échange social ; c’est « l’arbre à  palabres » : le lieu où les anciens passent le relais aux jeunes générations. L’arbre, en perpétuelle évolution et en ascension vers le ciel, incarne justement cette idée d’un cosmos vivant en perpétuelle régénérescence. Il illustre, comme la femme, le caractère cyclique de l’évolution cosmique, c’est-à-dire l’alternance entre la mort et la régénération. L’Africaine est un arbre nourricier, généreux et protecteur, un arbre flamboyant, l’un des plus beaux d’Afrique, à la fois majestueux et éclatant.

Ses racines plongent dans les profondeurs de la terre d’Afrique, berceau de l’humanité. Les racines, c’est l’histoire, le vécu personnel de l’artiste, la part d’autobiographie, le poids d’une enfance africaine. C’est aussi l’histoire d’un continent et la part d’un mythe qu’il charrie jusqu’à nous : sa sauvagerie et sa pureté. L’enfance croise l’histoire et leur mélange fonde une personnalité. Cette enfance se retrouve dans la naïveté du regard, dans les grands yeux étirés en amande, les pupilles rondes et dilatées où semblent fixer quelque chose au loin, à la recherche d’on ne sait quel défi ou en écho à l’on ne sait quelle histoire sombre et dramatique.

Les racines, c’est en effet aussi la part d’ombre et de mystère, ce que l’on ne voit pas et qui se découvre en creusant. Mystère du regard qui ne dit pas tout et attend qu’on le séduise. Ce regard évoque un monde totalement différent, étrange et pénétrant et qui prête à cette figure une allure quasi surnaturelle ; elle semble comme entrée dans un rêve et communiquant avec des êtres irréels qui lui révèlent son propre langage intérieur : son rôle est alors de nous initier à l’histoire des ancêtres mythiques et aux secrets du culte. Mystère des origines terrestres qui transparaît dans le choix des supports en ardoise, matière minérale résultant de la sédimentation des couches organiques et support de l’écriture comme de l’image.

Le tronc de cet arbre sans âge, c’est la force des tableaux, la franchise des contours et des aplats, la netteté des dessins où apparaît un a priori de simplification des formes. C’est aussi le cou infini de cette africaine, signe de grâce et de noblesse, ce cou démesurément long qui permet de détacher dans l’espace de la toile la beauté ineffable des visages. La forme est directe, le jeu des lignes pures et sereines est puissant et exprime l’essence du visage humain. Le tronc, c’est la part d’immobilité, de sécurité et de protection que prodigue cette africaine maternelle. Cette impression est encore accentuée dans les œuvres massives taillées dans le bois, symbole des forces vitales à l’état virtuel, œuvres lourdes donc terriennes mais, comme l’arbre, en même temps aériennes. Car il y a complémentarité entre la puissance du corps massif et l’expressivité du visage.

L’arbre, comme la femme, exalte en effet surtout sa parure, avec cette coiffe faisant office de véritable superstructure et conférant un maximum d’épanouissement formel. La femme d’Afrique se pare de couleurs chatoyantes, les couleurs de cette nature forte et originelle. Le visage, magnifiquement encadré par la coiffe, est tout attentif à la fête et à la vie sociale. Les bijoux, les colliers en spirales, d’argent ou de laiton, les parures de tête, les pendentifs et les bracelets soulignent la valeur qu’elle donne à la matière. Somptueusement parée, telle une mariée ou une reine, elle porte l’or, symbole des forces cosmiques qui s’expriment dans la royauté sacrée.

Comme l’arbre dont les branches incarnent l’ouverture sur le monde, l’ouverture vers l’autres, elle devient la source de tout pouvoir affectif. Ses branches les plus basses touchent les plus humbles. Ses branches les plus hautes, celles de la cime, regardent vers le ciel et le soleil. Car ces tableaux solaires exaltent l’énergie et la vigueur. Ces tableaux ne sont que des têtes, mais la tête renvoie au corps intégral ; il se produit ici une transformation du corps humain en une incarnation de l’énergie ; le corps devient le fondement de toute une dynamique, exaltant une capacité de survie et un principe de vitalité. C’est la vision d’un monde où les femmes mènent les combats au même titre que les hommes, où le corps fécond laisse parfois la place au corps-combattant et où le visage est surmonté d’une coiffure-casque.

Les fruits, ce sont les seins généreux dont la rotondité affiche une réelle sensualité et une troublante puissance plastique, effet renforcé par le contraste entre la douceur du sein bombé et la simplification géométrique des angles forts présents dans la coiffe. Ce sein répand la sève de cet arbre-femme, fluide magique de cette mère primordiale et féconde qui fascine et ensorcelle et ce, tout en se mouvant dans une dimension ludique. Le sein qui appelle à la vie et à l’amour dialogue avec les cycles de vie qui sont autant de symboles vitaux dont se pare la femme-déesse. Déesse de la fertilité, parée de ses symboles de force-vie, cette reine-mère est fille de la lune lorsque l’agent lui est associé ; elle dialogue avec le soleil, éternel principe dispensateur de vie. Incarnant un corps idéalisé, cette femme devient négation de l’opposition entre les univers masculin et féminin.